Pourquoi photographions-nous ?

« S’il appuie sur le déclic, ce n’est pas comme le dompteur qui immobilise sa proie ou le chasseur qui la fige raide morte, mais comme le promeneur qui arrête un instant son chemin pour aspirer une bouffée de l’air qui l’entoure. »

– Serge Tisseron, Le mystère de la chambre claire

Depuis son invention l’utilisation de la photographie s’est démocratisée et nous donne à tous la liberté de tirer à vue. Non seulement on ne se pose plus de questions, merci au numérique, mais on photographie sans compter. On cherche souvent ce que représente une image mais pas assez pourquoi elle existe bien que les deux soit intimement liés. Alors pourquoi et d’où nous vient l’envie de photographier ?

La societe & la photographie

A ses débuts la photographie servait à documenter, classer et archiver ce qui existe : Les constructions d’une ville, dévoiler les cachettes de l’ennemi en période de guerre et répertorier les familles tel qu’à l’époque de l’esclavage. La pratique mue ensuite pour montrer ce que l’on est et ainsi ce que l’on représente. D’ailleurs les bourgeois de la IIIème république l’utilisent pour mettre en avant leur appartenance à un groupe ; Les intellos avec les intellos, de même pour les nobles. Aux États-Unis dans les années 1840-1860 pendant que le pays grandit grâce à la ruée vers l’or on se fait photographier avec les objets représentatifs de son travail montrant aussi une qu’on appartient à un certain groupe de la société. Il est ici question de vouloir montrer qui on est en le prouvant par l’image. La photographie devient une sorte de pièce d’identité. On sent ici un commencement à la représentativité inconsciente que nous apporte la photographie. Cette même approche sera utilisée avec le temps pour tracer l’individualité de chacun en se démarquant grâce à une meilleure connaissance de la pratique de la photo.

La memoire

Il y a quelque chose qui n’a pas changé, c’est bel et bien le besoin de mémoire. Documentaire ou expression la démarche photographique ramène toujours à une envie de figer un instant, une chose ou quelqu’un en particulier ou bien même une sensation. L’image photographique fait aussi appel à des composantes non visuelles. La personne qui prend en photo un instant de plaisir sait très bien qu’il ressentira les mêmes odeurs et bruits en regardant l’image. Comme le dit si bien Roland Barthes «… une photo est toujours invisible : ce n’est pas elle qu’on voit ». On voit le souvenir, une chose qui ne s’est passé qu’une fois mais qui peut être reproduite à l’infini. On photographie donc pour marquer notre jeunesse, se souvenir de la construction d’une ville et se rappeler des moments passés avec notre grand-mère décédée.

S’exprimer

La photographie forme aujourd’hui partie du monde de l’art. Malgré tous les dires de Baudelaire quant au mécanisme de l’appareil photographique il faut aussi savoir créer une image comme on peint un tableau. Et ce n’est pas parce que la photographie est à la portée de tous que tous peuvent se prétendre à la hauteur d’un Cartier-Bresson. Il s’agit là d’une intention particulière avant de déclencher et d’un savoir propre à l’artiste même. Il ne s’agit pas de laisser une empreinte mais bien une trace (Serge Tisseron, Les mystères de la chambre claire, p. 157). S’exprimer est une autre envie qui mène à vouloir créer un autre cliché.

Beaucoup appuient sur le déclencheur sans regarder les prises ensuite. Seul importe le moment de la prise de vue. L’opération même d’appuyer sur le bouton et d’être en phase avec l’instant suffit pour nombres d’amateurs ; Le plaisir de regrouper toute la famille ou de pouvoir faire un cliché d’une des pyramides d’Égypte. Il n’est donc pas obligé de visionner le cliché ensuite pour vouloir la prendre. La démarche est celle d’un plaisir et un désir inconscient qui se manifeste à travers cet acte qu’est de photographier.

Références :

TISSERON Serge, Le mystère de la chambre claire, Paris, Champs arts, 2010

BARTHES Roland, La chambre claire, Paris, Le Seuil, 1980